LE PLAISIR

 

 

Introduction : état de plaisir ou hiérarchie des plaisirs ?

 

Considérons quelques plaisirs assez différents les uns des autres, par exemple le plaisir de boire un bon vin, celui de jouer de la guitare et celui de résoudre une équation. On admettra que ces trois plaisirs présentent un certain nombre – un très petit nombre – de traits communs, caractéristiques de tout plaisir. Quelle que soit l’activité qui l’engendre, que cette activité soit physique ou intellectuelle, le plaisir est toujours un certain état physique, il est toujours éprouvé par la sensibilité, et il est toujours éprouvé positivement. Nous concevons, certes, qu’il puisse être jugé négativement, qu’un être humain puisse renoncer à son plaisir, mais nous sommes alors certains que ce à quoi il renonce a dû lui apparaître comme un état digne d’être recherché. Et si l’on nous dit que tel être humain cherche avant tout la souffrance, nous supposons nécessairement que c’est parce qu’il y trouve son plaisir.

Tout ceci semblerait nous autoriser à conclure que l’amateur de vin, le guitariste et le mathématicien accèdent, par diverses voies, au même état de plaisir. Mais est-ce bien ce que nous pensons ? Quand nous disons du guitariste qu’il joue « pour le plaisir », nous ne voulons pas dire qu’il se sert de sa guitare comme d’un moyen possible pour atteindre son vrai but, qui serait « le plaisir ». Nous voulons même dire le contraire : c’est quand il joue pour jouer, n’ayant pas d’autre fin, que surgit en lui, comme une grâce supplémentaire, un plaisir auquel les non guitaristes ne peuvent que demeurer étrangers (leur plaisir à eux pouvant être celui d’entendre jouer de la guitare). Envisagé de cette façon, le plaisir se mérite. Celui qui se contente de « chercher le plaisir » ne le trouvera justement pas, ou ne trouvera qu’un plaisir médiocre : le vrai plaisir est pour celui qui ne le cherche pas, qui n’y pense même pas, uniquement soucieux de se cultiver en œnologie, d’améliorer son jeu de guitare ou de progresser en mathématiques. Ceci nous conduit nécessairement à poser une hiérarchie des plaisirs : les activités humaines n’étant pas à mettre sur le même plan, il y aura des plaisirs nobles et des plaisirs bas, des plaisirs grossiers et des plaisirs raffinés.

L’idée que nous nous faisons du plaisir « tout court » s’oppose ainsi, curieusement, à celle que nous avons de tel ou tel plaisir particulier, considéré dans sa différence : le premier est conçu comme un état alors que le second est censé accompagner une activité, le premier est recherché (ou repoussé) en tant que but alors le second survient à l’improviste comme un cadeau, le premier est toujours identique quelle que soit son origine alors que le second garde en quelque sorte la trace de son pedigree.

Cette opposition entre état de plaisir et hiérarchie des plaisirs, nous la verrons à l’œuvre dans les débats de la philosophie antique sur la question du bonheur, et de son lien avec le plaisir. Nous la retrouverons au cœur de l’affrontement entre Hume et Kant sur la question de savoir si c’est à la raison ou aux sentiments de plaisir et de peine qu’il revient d’apprécier le bien et le mal, le beau et le laid. Nous la retrouverons encore, pour finir, dans le développement de la théorie freudienne du « principe de plaisir ».

 

1. Plaisir et bonheur chez Platon, Aristote et Épicure

 

Quelle que soit l’idée que les hommes se font de ce but suprême de leurs désirs qu’ils appellent le bonheur, il est certain qu’ils l’envisagent comme quelque chose de plaisant. Le philosophe qui refuse d’identifier purement et simplement le plaisir et le bonheur ne peut donc aller jusqu’à les dissocier totalement : soit il accorde à certains plaisirs, mais non à d’autres, le droit de participer au bonheur, soit il identifie le bonheur, non au plaisir en général, mais à un plaisir particulier, le plaisir de pratiquer une certaine activité qu’il juge être l’activité humaine par excellence. Platon a suivi la première voie, la seconde fut celle d’Aristote. L’un comme l’autre ne pouvait évidemment soutenir sa position qu’en supposant entre les plaisirs des différences hiérarchiques irréductibles, en rejetant sans appel l’idée d’un état unique de plaisir dans lequel tous les plaisirs se confondent. Partant au contraire de cette idée, Épicure fut inéluctablement conduit à affirmer, contre Platon et Aristote, l’identité du plaisir et du bonheur : « le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse », lisons-nous dans la Lettre à Ménécée.   

Entre ces trois penseurs de l’Antiquité, la question cruciale est celle de ce qu’on pourrait appeler le moment du plaisir : quand a-t-il lieu au juste ? C’est au moment où l’on a faim qu’il est agréable de manger, affirme par exemple Calliclès dans le Gorgias de Platon. Mais la faim en elle-même, lui fait remarquer Socrate, est désagréable, pénible, c’est un manque, une souffrance : on jouit donc, conclut-il, en même temps qu’on souffre, et tant que la pointe de l’insatisfaction se fait encore sentir. S’il en est ainsi, si le plaisir ne vit que de combler la douleur d’un manque et s’évanouit quand cette douleur disparaît, alors la preuve est faite que le plaisir n’est pas le bonheur. Car personne ne va dire qu’il faut être en même temps heureux et malheureux : la loi du bonheur est celle de l’exclusion des contraires, tandis que la loi du plaisir est celle de la concomitance et du mélange des contraires (cf. Gorgias, 495e – 497a). Seuls peuvent prendre part à notre bonheur, expliquera Platon dans le Philèbe, les plaisirs « purs », ceux qui échappent à ce mélange parce que nous les éprouvons sans avoir conscience d’un manque, donc sans ressentir la moindre souffrance : tels sont, par exemple, les plaisirs que nous inspirent de belles formes, ou des sons harmonieux.

Mais n’est-il pas absurde, objecte Épicure, de situer le plaisir au moment même où règnent le déplaisir et la souffrance, lorsque le manque n’est pas encore comblé ? Non, le plaisir ne consiste pas à manger quand on a faim, le plaisir consiste à ne plus avoir faim : c’est la satisfaction d’un être qui a retrouvé son intégrité et n’aspire plus à rien. Peu importe alors si le désir qui vient d’être satisfait était intense ou faible, naturel ou artificiel, vulgaire ou raffiné : les manques peuvent être aussi différents qu’on le voudra, l’intégrité retrouvée est toujours identique à elle-même. Le plaisir est donc bien, au sens fort du terme, un état, et non, comme le croit Platon, un processus, une genèse, un devenir. Et cet état de complétude est bien « le commencement et la fin de la vie heureuse » : c’est à lui seul que nous nous référons pour savoir ce qui nous convient. Telle est la sagesse du plaisir, ou « hédonisme », qui n’a rien à voir avec une « vie de plaisirs », encore moins avec une vie de débauche. Puisqu’il n’y a pas davantage de plaisir à satisfaire un grand désir qu’un petit, l’hédonisme consistera, non certes à vivre en ascète, mais à savoir se contenter de peu. L’hédoniste admettra donc qu’il lui faut parfois renoncer à certains plaisirs, mais il le fera toujours au nom du plaisir, et pour nulle autre raison.

Mais revenons à la question cruciale. Éprouve-t-on le plaisir tant que le manque n’est pas encore comblé, ou une fois qu’il l’est ? Ni l’un ni l’autre, soutient Aristote : la référence à la réplétion peut paraître éclairante lorsqu’on songe à certains plaisirs corporels, elle n’est pas pertinente pour appréhender ce qui est propre au plaisir. Le point important, c’est la différence entre « être en puissance » et « être en acte », par exemple la différence entre le fait d’avoir des dispositions pour jouer d’un instrument et le fait d’en jouer effectivement. Il n’y a aucun plaisir à être un musicien en puissance, il y en a un à l’être en acte, à mettre en œuvre ses virtualités. Mais que représente le plaisir par rapport à cette mise en œuvre ? Un parachèvement, un gracieux supplément, répond Aristote : « Le plaisir achève l’acte, écrit-il, […] comme une sorte de fin survenue par surcroît, de même qu’aux hommes dans la force de l’âge vient s’ajouter la fleur de la jeunesse » (Éthique à Nicomaque, livre X, chap. 4, 1174 b 32-34).

Aristote ne dira donc pas, comme Épicure, que l’homme trouve son bonheur dans le plaisir, mais qu’il le trouve dans un plaisir particulier, celui qui parachève la mise en œuvre de son aptitude spécifiquement humaine, celle qu’il ne partage avec aucune autre créature sur terre, l’aptitude à la contemplation. L’homme qui vit une « vie contemplative » accomplit son métier d’homme : telle est, soutient Aristote, la vie heureuse.

 

2. Plaisir et jugement chez Hume et Kant

 

Quand ils se demandaient quelle part le plaisir prend au bonheur, les philosophes de l’Antiquité s’interrogeaient sur la valeur du plaisir. C’est plutôt sur l’aptitude du plaisir à révéler la valeur que s’interrogent les philosophes du XVIIIe siècle, Hume et Kant en particulier : est-ce au plaisir que suscitent en nous certaines actions, demandent-ils par exemple, que nous les reconnaissons comme vertueuses ? Est-ce au plaisir, c’est-à-dire à la sanction immédiate d’un sentiment, ou bien à la raison et à son jugement fondé, motivé, démonstratif ?

Ce qui disqualifie la raison sur ce point, estime Hume dans son Traité de la nature humaine, c’est ce qui semble d’abord l’avantager : son pouvoir d’appréhender, non pas des choses, mais des relations entre les idées que nous avons des choses. Il résulte de ce pouvoir que la raison, réduite à elle-même, doit juger formellement identiques la situation d’un enfant tuant son père et celle d’une jeune pousse, née de la graine tombée d’un chêne, et dont la croissance finit par détruire son géniteur. La différence évidente que nous reconnaissons tous entre les deux cas, entre le plus odieux des crimes, suscitant une réprobation absolue, et un phénomène naturel relevant du cours normal des choses, échappe totalement à la raison. Cette différence ne peut donc être que sentimentale : neutralité d’un côté, de l’autre un fort déplaisir, marquant en nous la condamnation du mal, de même que le plaisir signe l’approbation du bien. Mais pourquoi, alors, ne jugeons-nous pas moralement bonne n’importe quelle chose suscitant en nous du plaisir ? L’argument qui vient d’être dirigé contre la raison, ne pouvons-nous le retourner contre le plaisir lui-même ? Pas du tout, répond Hume. Le mot « plaisir » n’est qu’une étiquette commode pour désigner une multitude de sentiments différents, inégaux entre eux et parfois contraires entre eux. Quand il nous arrive d’estimer les qualités d’un ennemi, cet homme est à la fois pour nous source de déplaisir et de plaisir : de déplaisir en ce que nous sommes ainsi faits que nous devons le détester, de plaisir dans la mesure où considéré en général, sans référence à notre intérêt particulier, son caractère se présente à nous comme digne d’être loué. On le voit : la position de Hume ne se soutient qu’à condition de rejeter la prétendue identité de l’état de plaisir au profit de la multiplicité hiérarchique des plaisirs.

Cette position, formulée dans la troisième partie du Traité de la nature humaine, prolonge ce que Hume avait déjà démontré dans la deuxième partie du même traité, à savoir que la raison est par elle-même incapable de nous faire agir. En tant que pouvoir d’appréhender des relations entre les idées, la raison peut certes intervenir dans nos actions en nous avertissant, par exemple, du meilleur moyen à utiliser pour atteindre telle ou telle fin, mais elle ne saurait nous fixer une fin. Ce qui nous fait agir, ce sont nos passions (l’amour, la haine, l’orgueil, etc.), la raison ne pouvant être que l’esclave de ces passions. Voilà qui est sans doute vrai, convient Kant, si l’on considère uniquement l’usage technique de la raison : de ce point de vue, il est parfaitement rationnel de se sortir d’une situation gênante par un mensonge, en sachant profiter de la confiance qu’on inspire à autrui. Mais notre raison, ajoute Kant, comporte également une dimension morale qui condamne comme contradictoire le fait de se dispenser soi-même de la loi dont on escompte le respect chez les autres.  

Compte tenu de cette seconde dimension, il faut affirmer, contre Hume, que c’est à la raison, non aux sentiments de plaisir et de peine, de décider de ce qui est bien ou mal. Soutenir le contraire n’est pas seulement une erreur philosophique, c’est une sorte de faute morale, une forme de mauvaise foi. À tous ceux qui invoquent hypocritement l’existence de plaisirs plus nobles que d’autres pour pouvoir se prétendre vertueux sans satisfaire aux dures exigences de la raison, Kant oppose, dans la Critique de la raison pratique, la franchise d’Épicure. Ce dernier, dit-il, n’ignorait pas que nos plaisirs ont des objets très différents, que certains peuvent être « intellectuels », mais il savait que tous sont ressentis de la même façon, dans le même état de plaisir. En conséquence, une action est jugée plaisante quand elle flatte la sensibilité égoïste, et pour nulle autre raison : il n’y a pas en nous de « sens moral ».

Exclue de la détermination du bien, l’idée d’une hiérarchie des plaisirs est en revanche admise par Kant dans un autre domaine, celui du jugement de goût. Qualifier ce jugement « d’esthétique », c’est signifier qu’il revient de droit à un certain plaisir de reconnaître la beauté des êtres et des choses. Pas n’importe quel plaisir : le beau, affirme Kant dans la Critique de la faculté de juger (§ 5), est l’objet d’un plaisir « désintéressé ». Nous éprouvons généralement du plaisir en fonction de tel ou tel intérêt : c’est ce qui fait que nos plaisirs (et nos déplaisirs) appartiennent au sérieux de la vie. Seul le plaisir esthétique, dans lequel nous ne faisons que jouer avec la représentation des choses, échappe au carcan de l’intérêt. Ce plaisir pour rien, ce plaisir pour le plaisir, ni les anges ni les bêtes ne l’éprouvent, car ni les anges ni les bêtes ne « jouent » à proprement parler. C’est dans la droite ligne de cette analyse que Schiller affirmera, dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme : « L’homme ne joue que là où, dans la pleine acception du mot, il est homme, et il n’est tout à fait homme que là où il joue ». C’est en kantien également que Feuerbach opposera, dans ses Principes de la philosophie de l’avenir (§ 53), le « sensualiste absolu » qu’est l’homme au « sensualiste borné » qu’est l’animal.

 

3. Principe de plaisir et principe de réalité selon Freud

 

Il est d’ailleurs possible d’établir un lien entre ces idées postkantiennes et ce que Freud baptise « principe de plaisir ».

L’expression a de quoi surprendre. Elle signifie que si le plaisir doit être recherché, ce n’est plus, comme dans l’hédonisme antique, à cause de la valeur qu’il représente, mais « par principe », en vertu d’un commandement intransigeant, imposant une obéissance aveugle. L’objet d’un tel commandement est la réduction de la tension, la diminution de l’excitation, laquelle est toujours, explique Freud au chapitre VII de L’interprétation des rêves, « éprouvée comme déplaisir ». Si nous formons l’hypothèse – la « fiction », dit Freud dans le même passage – d’un « appareil psychique primitif », nous dirons que le fonctionnement de cet appareil « est caractérisé par la tendance à éviter une accumulation d’excitations et à se mettre le plus possible à l’abri de l’excitation ». Seulement « le plus possible » : il n’y a que la mort qui puisse nous mettre totalement « à l’abri de l’excitation ». Ce qu’exige le principe de plaisir est donc, si on le pousse à son terme, irréalisable dans les conditions de la vie. Il est nécessaire qu’un second principe, aussi intransigeant que lui, vienne le limiter, s’opposer à la réduction systématique de toutes les tensions, maintenir un certain niveau d’excitation, donc de déplaisir : ce second principe, Freud le nomme « principe de réalité ».

Le principe de réalité s’oppose au principe de plaisir, mais il ne s’oppose pas au plaisir. Il demande que la recherche du plaisir tienne compte de tout ce qui fait la réalité : des autres, des circonstances, du fait que tout n’est pas possible en même temps, etc. Le principe de plaisir est en chaque individu la tendance à faire la sourde oreille à tout cela, à exiger la réduction immédiate et inconditionnelle des tensions. On peut se faire une idée plus précise de cette exigence en considérant la célèbre thèse de Freud selon laquelle « tout rêve est un accomplissement de désir ». Thèse étrange : comment le rêve pourrait-il « accomplir » quoi que ce soit ? Ce que veut dire Freud, c’est que nos rêves nous présentent nos désirs comme déjà accomplis, plus rien ne restant à faire. Voilà ce que veut le principe de plaisir : une satisfaction régressive, dans le passé de l’imaginaire. Contre cela, le principe de réalité nous demande de penser à l’avenir, aux tâches à accomplir, aux délais qu’il nous faudra respecter pour atteindre nos fins.

La position de Freud sur le rapport entre les deux principes est ambiguë : il les présente souvent comme distincts et opposés, mais il affirme également que le principe de réalité résulte d’une transformation du principe de plaisir. L’appareil psychique « primitif », qui n’avait d’autre loi que celle de la réduction immédiate des tensions, se modifie en découvrant les limites que la réalité impose à cette réduction. Quand il considère l’opposition des deux principes, Freud soutient que les désirs humains sont réprimés au nom de la réalité, et que toute la « civilisation » repose sur une telle répression. L'idée d'une transformation du principe de plaisir en principe de réalité l’incite en revanche à penser qu’au moins certains désirs peuvent trouver, dans une activité socialement ou culturellement utile, un moyen détourné de se satisfaire : la civilisation est alors une « sublimation » de ces désirs. Dans les deux cas, ce sont les désirs sexuels qui sont concernés, mais pour deux raisons différentes : la sexualité est réprimée parce qu’elle est foncièrement antisociale, et elle est sublimée en raison de sa plasticité, de la propension particulière des pulsions sexuelles à se déplacer vers des buts ou des objets différents, à « érotiser » en quelque sorte certaines activités, particulièrement l’activité intellectuelle et l’activité artistique. Le plaisir sexuel peut donc prendre aussi bien la forme d’un état de plaisir toujours identique que celle d’une multiplicité hiérarchisée de plaisirs : la psychanalyse intègre ainsi les deux pôles qui s’opposaient dans la philosophie antique et classique du plaisir.

Certains textes de Freud présentent la sublimation, particulièrement la sublimation artistique, comme une réconciliation du principe de plaisir et du principe de réalité. L’artiste, lisons-nous dans l’Introduction à la psychanalyse (chap. XXIII), est un homme qui s’est détourné de la réalité dans la fantaisie, mais a su trouver le « chemin de retour qui conduit de la fantaisie à la réalité », et cela grâce à un pouvoir mystérieux de rendre communicables ses jouissances les plus intimes, d’en faire l’objet d’une satisfaction partagée. Cette satisfaction esthétique est-elle autre chose, toutefois, qu’un moment de consolation, un soulagement transitoire pour des êtres nécessairement insatisfaits ? En intitulant l’un de ses essais Malaise dans la civilisation, Freud montre assez qu’à ses yeux l’opposition des deux principes importe davantage que leur réconciliation, la répression des pulsions que leur sublimation : si l’on nomme « bonheur » le but que le principe de plaisir assigne à la vie, la civilisation est l’ennemie du bonheur. Ce pessimisme n’est pas inéluctable, estime cependant Herbert Marcuse dans Éros et civilisation. Face à un contexte social où le principe de réalité a pris la forme d’une « désublimation répressive », la sexualité devenant valeur marchande et instrument de pouvoir, la libération peut venir d’une « sublimation non répressive », d’une érotisation des rapports humains, d’une transformation du travail en jeu. Ainsi émergerait la civilisation esthétique dont parlait Schiller, celle où l’homme trouve sa liberté suprême dans le plaisir de jouer avec la beauté.

 

En lien avec cette notion, on pourra lire, dans le chapitre "Penser avec les maîtres":

- Platon: Les ombres

- Aristote: La fatigue d'être

- Epicure: La mort n'est rien pour nous

- Hume: L'énigme des faits

- Kant: Le sens des limites

- Freud: Les lacunes de la conscience

Dans le chapitre "Explications de textes":

- Epicure: Rien d'autre que les corps et le vide

- Hume: Le jugement moral

- Kant: Le jugement de goût

- Lucrèce: L'évidence des sens

Et dans le chapitre "Notions":

- L'Art

- Le Désir

- La Douleur

- L'Ennui

- Le Jeu

- La Raison

 

BIBLIOGRAPHIE

PLATON, Philèbe, trad. J.-F. Pradeau (dir.), Paris, Éd. GF-Flammarion, 2002

ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, trad. R. Bodeüs, Paris, Éd. GF-Flammarion, 2004

ÉPICURE, Lettre à Ménécée, trad. P.-M. Morel (dir.), Paris, Éd. GF-Flammarion, 2009

HUME, Traité de la nature humaine, Livre III, "La morale", trad. P. Saltel (dir.), Paris, Éd. GF-Flammarion, 1999

KANT, Critique de la raison pratique, trad. J.-P. Fussler, Paris, Éd. GF-Flammarion, 2003

KANT, Critique de la faculté de juger, trad. A. Renaut (dir.), Paris, Éd. GF-Flammarion, 2009

Herbert MARCUSE, Éros et civilisation, contribution à Freud, trad. J.-G. Nény et B. Fraenkel, Paris, Éd. de Minuit, Coll. "Arguments", 1963

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